Dimanche 11 février

Cinema et changement au Quebec: deux films de Denys Arcand

 

 

Denys Arcand, cinéaste du Québec

Le 11 février Villedieu-cinéma consacrera une journée spéciale à l’oeuvre de Denys Arcand. Si son œuvre a été bien primée en Amérique du Nord, elle reste mal appréciée ailleurs, particulièrement dans le monde anglophone. Ses films sont pourtant d’une grande qualité, grâce à leur fine analyse des relations humaines ancrée dans le contexte d’une société québécoise dans toutes ses évolutions.

Né en 1941, Arcand est acteur et témoin de ce qu’on appelle la ‘révolution tranquille’ du Québec. Après des études d’histoire à l’université de Montréal (les historiens reconnaîtront bien la main de l’un des leurs partout  dans son cinéma), il fait lentement son chemin dans les média, débutant dans les documentaires (voir notamment Duplessis, la série [1978] : disponible sur Youtube) avant de faire sa percée dans les années 1980 avec sa trilogie (Le déclin de l’Empire américain, Jésus de Montréal, Les invasions barbares).Or, la révolution tranquille vient de s’épuiser au début des années 1980, et ces films nous offrent donc une réflexion sur tout ce processus et ses conséquences. Son tout dernier film Testament (2023) nous montre que certains effets de ce changement perdurent même après trois décennies.

C’était quoi donc, cette fameuse révolution ? On peut la résumer en disant qu’il s’agissait essentiellement d’une vaste modernisation. Modernisation sur les plans économique, social, politique et surtout, pour ce qui concerne le cinéma d’Arcand, moral et culturel. En 1960 le Québec fut une société largement rurale et sous-développée, malgré la possession de ressources naturelles énormes. La couverture médicale était minimale, la plupart des hôpitaux dépendant de l’Eglise catholique, qui était aussi l’acteur majeur d’un système d’éducation visiblement inadéquat. Il n’y avait quasiment pas d’assurance anti-chômage ni de minimum social, les organisations caritatives étant censées répondre à ces besoins. La vie politique fut dominée par le parti conservateur Union Nationale sous la houlette de Maurice Duplessis (premier ministre du Québec de 1936 à 1959, sauf pour un retour à l’opposition entre 1939 et 1944) auquel Arcand consacrera un de ses premiers ouvrages pour la télé (en tant que scénariste). Campée à outrance, avec un Duplessis à l’accent rural à couper au couteau et une roublardise paysanne caricaturale, cette série capte néanmoins bien l’essence du duplessisme : rapports intimes avec l’Eglise et le patronat, persécution des syndicats et tout élément de gauche (tous ‘communistes’ dans la tête de Duplessis), moralisme traditionnel rigoureux et clientélisme ouvert (queue sempiternelle des suppliants devant le bureau du Chef). Le Chef râle contre l’interférence du gouvernement fédéral et parle d’être ‘maîtres chez nous’, mais cela ne l’empêche pas de brader les contrats hydro-électriques aux Américains, un fumet de corruption à la clé.

Or, Duplessis  meurt en 1959. L’année suivante son parti perd les législatives au profit du PLQ, le parti libéral du Québec, dirigé par René Lesage . Celui-ci mènera à bien une série de réformes à travers tous les domaines de la société qui transformeront le Québec de fond en comble. Après Lesage, c’est surtout une nouvelle formation nationaliste le PQ (Parti québécois) qui prendra la relève sous le bâton de René Levesque, lui-même ancien lieutenant de Lesage formé dans la mouvance libérale. Cette révolution durera deux décennies avant que le Québec ne soit repris par la vague néo-libérale incarnée par Thatcher et Reagan. Ce credo est devenu le paradigme politico-économique un peu partout dans les pays développés.

Nous résumerons ici rapidement le palmarès de ces gouvernements réformateurs. (Ceux qui veulent aller plus loin peuvent consulter le très solide  Paquet, M. et S. Savard, Brève histoire de la Révolution tranquille, Montréal, Edns. Du Boréal, 2021).
Une politique économique volontariste voit le Québec gagner le contrôle de ses ressources naturelles, souvent par la nationalisation de celles-ci ; cela permettra une croissance rapide et une augmentation des moyens du gouvernement.. Sur le plan social on construit un véritable Etat-providence, avec une bonne couverture médicale et sociale, administrée par une bureaucratie nombreuse (qui fera surface de temps à autre dans les films d’Arcand). Aussi l’Eglise se voit-elle confisquer la plupart de son rôle dans le système médical. Idem pour l’éducation, où le gouvernement rénove massivement écoles et universités publiques. Ces actions remettent en question le rapport du Québec au pouvoir fédéral d’Ottawa, dominé évidemment par les anglophones. Au cours des décennies se développera une conscience nationale ; on se pensera de plus en plus québécois et non franco-canadiens. On parlera moins de la province du Québec et davantage de l’état québécois. Ce qui ne veut pas dire que tout le monde partage les visées indépendantistes de l’aile radicale du PQ ; il y a toute une gamme de positionnements vis-à-vis de la ‘question nationale’. Mais la question nationale est bel et bien posée et elle le restera jusqu’à nos jours. A côté des voix nationalistes s’élèvent d’autres voix peu audibles jusqu’ici – femmes, gays, peuples autochtones.

Les changements les plus dramatiques interviennent pourtant à un niveau moins visible. Il s’agit d’un processus à l’œuvre un peu partout dans le monde développé, à savoir un changement de mentalités ; plus concrètement, la chute vertigineuse de la pratique religieuse et son remplacement par une culture de l’individualisme à caractère hédoniste. En 1965, 80% des catholiques (donc la grande majorité des québécois) vont à la messe dominicale ; à la fin du siècle ils ne sont plus que 19% ; en même temps la proportion de mariages religieux tombe de 51%, ainsi que le nombre de clergé. Si on pouvait définir l’identité québécoise en termes de religion (comme en Irlande, catholique était synonyme de national), cela n’est plus possible. Des historiens ont pu dire que le religieux ‘était désormais dissocié du national’ et évoquer la ‘répudiation de l’Eglise catholique comme culture’. Mais ces valeurs perdues sous la vague de la sécularisation devaient être remplacées par quoi ?

C’est là justement qu’intervient Arcand. Ses films interrogent surtout cet abandon d’anciennes valeurs et la recherche de nouvelles. Faut-il se réfugier dans l’individualisme hédoniste, comme les profs d’histoire du Déclin de l’Empire américain, dans un Montréal qui commence à ressembler au swinging London des années 1960 ? Mais quid de la solidarité, dans ce nouvel univers matérialiste et brutal  que vivent les protagonistes de Jésus de Montréal ? Et le rôle de la politique dans tout cela ? Si elle n’occupe pas le première place, elle est pourtant bien présente, jusque dans Testament, qui n’épargne pas la nouvelle classe politique du Québec.  Ce n’est pas notre propose ici de donner des spoilers (des révélations intempestives) mais plutôt de donner une idée de ce qui peut attendre le spectateur. Disons simplement que le cinéma d‘Arcand prend bien la mesure de son époque. Il le fait humainement, à travers des personnages que le spectateur reconnaît bien. A vous de goûter l’œuvre de ce cinéaste remarquable.

David Hanley

 

 

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