Le temps retrouvé, troisième volet de La trilogie avranchinaise

 

Le temps retrouvé, long métrage documentaire, viendra s’ajouter à deux autres films : Après l’invitation, produit en 1999, et J’ai pas changé de bord, sorti en salles en 2014. Ces trois films gravitent autour d’un même lieu, Avranches, avec sensiblement les mêmes personnages – c’est ainsi que je me permets de les appeler­. Trois films, pour une saga documentaire, suffisamment autonomes entre eux pour pouvoir être regardés séparément, mais qui ensemble vont constituer de fait une trilogie. Trois récits générationnels pour ce que j’ai appelé La trilogie avranchinaise.

 

L’année dernière, 2017, je délaissais mon travail de réceptionniste de nuit dans un hôtel parisien. Ce travail, alimentaire, avait eu le mérite de me laisser faire des films, et notamment des documentaires. Ce départ en retraite, car c’est de cela qu’il s’agissait, était une fin, mais une fin pour autre chose, moment idéal pour commencer ce Temps retrouvé, en Normandie.

Je m’en vais donc retrouver les personnages qui ont « fait » les deux premiers opus de la Trilogie : Philippe l’instituteur, Hervé le juge administratif, Franck le travailleur social, Christian « de » la Caisse d’allocations familiales, Jean-François jardinier à la ville de Paris, Michel, mon frère, patron de PME, et sa fille Florence, à la tête désormais de l’entreprise familiale. Certains personnages de Après l’invitation n’étaient plus dans J’ai pas changé de bord, d’autres sont arrivés avec celui-ci. Pas de loi donc, me mettant en demeure de répondre systématiquement à la brûlante question du « Que deviennent-ils ? », et en cela, déjà, le second film n’était pas stricto sensu une suite au premier. Le temps retrouvé aura perdu Olivier, technicien « Orange », qui n’est plus de ce monde – et je voudrais dire ici combien il en est, de ce troisième volet –, mais s’enrichit de Daniel, chef machiniste pour le cinéma, que j’ai connu, comme les autres, au lycée Littré d’Avranches. Le temps retrouvé restera fidèle à cette absence de loi.

 

Dans Après l’invitation, mes anciens amis de lycée et moi regardions nos vies d’adultes. Etaient-elles en accord avec notre adolescence ? Parler du passé, c’était parler d’elle d’abord.

J’ai pas changé de bord, acte deux de la trilogie, reprenait à sa manière le slogan soixante-huitard selon lequel « Tout est politique ». Au beau milieu des années soixante-dix, le temps de notre adolescence, moi et mes amis avions sublimé la politique. Nous y croyions, aveuglément, en cette « religion non religieuse » – belle formule de Marcel Gauchet. Qu’en était-il « sous » Sarkozy ? J’ai pas changé de bord regrettait une parole politique disparue, perdue après l’adolescence, comme diluée depuis avec le temps, avec l’âge adulte.

Après l’invitation discourait sur un temps intime ; J’ai pas changé de bord, sur un temps politique. L’un était plutôt du côté de la petite histoire quand l’autre voulait s’approcher de la grande. Le temps retrouvé tentera la synthèse si j’ose dire, les histoires, avec ou sans majuscule, s’interpénétrant l’une l’autre, avec cette ambition démesurée de faire un tout, constitué du passé comme du présent, comme un besoin impérieux d’embrasser une totalité, de l’intime au collectif, du domestique au politique.

 

Le temps retrouvé. Proust ? Après l’invitation, acte un de la Trilogie, commençait par une fête dite des « Quarante ans », en 1995, à laquelle m’avaient convié mes amis, que j’avais connus au lycée. Or il se trouve que l’évènement en question avait eu lieu à Saint-Jean-de-la-Haize – village qui touche Avranches. Les proustiens de stricte obédience m’auront compris : c’est là, à Saint-Jean-de-la-Haize, qu’Albertine « trouvait plus sage de rester pour peindre ». La recherche et cette déjà lointaine fête à Saint-Jean-de-la-Haize, La recherche et cette Normandie qui me renvoie à l’enfance, à l’adolescence, avant ma vie d’adulte à Paris, avant de faire du cinéma, il n’en fallait pas plus pour que j’empreinte (malicieusement) Le temps retrouvé pour donner un nom à ce troisième volet.

« Le temps retrouvé » mais de quoi, ou pour quoi ? Le caractère générique d’un tel titre, et peut-être plus encore pour un film, a quelque chose d’énigmatique, mais c’est en cela qu’il est bien pratique.

Dans « le temps retrouvé », il y a « le temps ». Vingt-cinq ans séparent les premières images de Après l’invitation, de ce film en train de se faire. La ville d’Avranches, pour ne parler que d’elle, à la fin des années 90, au siècle dernier ! n’est pas ce qu’elle est aujourd’hui. La géographie a changé, et plus qu’on ne le pense ; la trilogie, complète, en offrira la preuve, une preuve par le cinéma.  

« Le temps retrouvé » implique l’idée d’un retour aux origines – comme s’il s’agissait de boucler une boucle : rien de plus logique puisque ce Temps retrouvé clôt la Trilogie. Après l’invitation s’en allait « retrouver » les lieux originels, le très proustien casino de Granville, et discourait volontiers sur des questions le cas échéant douloureuses, comme la mort du père. Le temps retrouvé, lui aussi, ira puiser dans le passé ce qui nous aura construit. Qu’en est-il, par exemple, aujourd’hui de « l’esprit de Saint-Jean-de-la-Haize » qui se voulait fidélité à l’adolescence ?

Mais Le temps retrouvé s’intéressera aussi à la politique telle qu’elle se fait aujourd’hui, plus exactement au regard que nous, sexagénaires retraités, portons sur elle. A question subjective, réponse subjective. Pourquoi ne pas aller y voir du côté d’Avranches ?

En 2014, un nouveau maire est élu, David Nicolas, « sans étiquette », en parvenant à fédérer les forces progressistes. Une petite révolution. Une page serait tournée – je rappelais dans J’ai pas changé de bord qu’Avranches était une ville de droite. 2017 voit la victoire d’Emmanuel Macron dès le premier tour, contre François Fillon : un recentrage s’est opéré. « David » (beaucoup ici l’appellent par son prénom) favorise un tissu associatif dynamique. Un Centre d’Accueil pour Demandeurs d’Asile voit le jour.

Le temps retrouvé rendra compte de ce dynamisme, à travers diverses associations, et la relation qu’elles entretiennent avec le pouvoir local. Nous verrons s’y épanouir un girondisme décomplexé, une politique de terrain, progressiste certes mais qui ne s’occuperait pas du reste. Je force volontiers le trait, pour mieux exprimer ici un désenchantement générationnel de sexagénaires dont l’ADN politique aura été, en définitive, autrement plus jacobin. Il n’en reste pas moins que se joue là le pari d’une altérité heureuse – où désormais des « avranchinais » peuvent côtoyer des personnes réfugiées en attente de papiers. Cette altérité suppose un film choral, une pièce de théâtre avec beaucoup de personnages, dans lequel les protagonistes, forts de cette conviction du vivre-ensemble, avancent de concert dans le film, comme égaux devant lui. Le temps retrouvé donnera à voir des commentateurs sexagénaires qui regarderont agir des acteurs plutôt quarantenaires – le premier d’entre eux serait David Nicolas. Un système à deux étages donc. L’altérité heureuse sera le meilleur antidote à « notre » mélancolie générationnelle. Ce film pourrait être aussi « le temps retrouvé » de la politique, avec en corollaire la question de la modernité en politique où le « Tout est politique » aurait été balayé par le « Tout est associatif ».

Cette expérience, que je qualifie rapidement de girondine, a besoin de temps. Elle aura commencé – je vais y revenir – avec les élections présidentielles de l’an passé, et se clôturera avec les municipales de 2020, auxquelles « David » nous dira s’il se représente. Un tempo local, pour un film qui aurait pu, comme J’ai pas changé de bord, épouser la durée du quinquennat présidentiel ; un tempo girondin certes, mais qui n’ignore pas les exigences nationales – et le récit, « depuis » Avranches, n’en restera pas moins subordonné à l’actualité politique dont par définition nous ignorons tout.

 

*

 

Il m’a donc fallu commencer à tourner Le temps retrouvé l’année dernière, voulant impérativement insérer les élections présidentielles dans mon film, sans attendre que sa production soit aboutie – après avoir obtenu, l’an passé, la bourse Brouillon d’un rêve, auprès de la SCAM, puis l’aide à l’écriture documentaire auprès de la région Normandie, je sollicite auprès de cette même région une aide au développement.

L’édition 2014 de Doc, Doc, Doc, Entrez ! m’ayant ouvert ses portes en sélectionnant J’ai pas changé de bord, j’ai proposé dès cette édition 2018 de montrer, dans le cadre de ce qu’on pourrait appeler un atelier, ce travail commencé, ce travail en train de se faire, expérience renouvelable dans les éditions suivantes, jusqu’au terme du tournage prévu en 2020.

Avec Frédérique Michaudet, monteuse et coproductrice du film, nous venons d’effectuer un pré-montage, large, de ce qui a été tourné en 2017. C’est ainsi que nous procédons, par une sélection au fur-et-à-mesure de ce qui est filmé – quitte à parfois, cela peut arriver, revenir sur ce que nous n’avions pas retenu. Nous proposons, pour cette première édition du festival, de montrer une ou plusieurs séquences.   

Pourront être abordés les enjeux narratifs que suppose cette méthode d’un « montage collé au tournage ». Frédérique et moi sommes raisonnablement sélectifs. Trop monter, trop vite, peut avoir pour fâcheuse conséquence de se fermer des portes. Un évènement qui semblait important peut avec le temps perdre de sa pertinence ; un autre, jugé sans importance, au contraire gagne en intérêt. Il y a donc, spécifiquement, un agencement de récit propre aux tournages au long cours. Au-delà, se pose enfin la question du statut d’un récit appelé à venir s’insérer dans un ensemble plus grand, je veux parler de La trilogie avranchinaise.

 

Christian Blanchet

réalisateur

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